@rc~en~ciel
* Epidémie * ( Nouvelle )
- Qu'est-ce que tu fais mon chéri ?
- Je profite des dernières heures d'autonomie du matériel informatique
pour écrire comment on en est arrivé là.
- Bonne idée. Il ne faut pas oublier, et nous ne serons pas éternels.
Ne traîne pas, les batteries seront bientôt vides.
- Ne t'inquiète pas, avec la saisie vocale ça ira très
vite. Bon, on y va.
Peter s'éclaircit la gorge. Le message qu'il allait laisser était
capital, les générations futures le considéreraient probablement
comme sacré.
« L'origine de la catastrophe remonte probablement à la dernière
guerre que la Terre telle que nous la connaissions ait connue. Une guerre d'intérêt,
bien évidemment, en supposant qu'il y ait déjà eu des guerres
justes. Pour augmenter encore sa fortune, en cachant à peine cet objectif
par le prétexte du désarçonnement d'un quelconque dictateur,
la première puissance militaire du monde attaqua un pays possesseur de
pétrole. Les noms de ces pays n'ont plus d'importance à présent.
Cette guerre eut les conséquences déplorables de toutes celles
qui l'avaient précédée : des milliers de morts, et des
millions de bénéfices pour le vainqueur. Tout aurait pu s'arrêter
là. Mais un grain de sable fit dérailler la mécanique mondiale.
»
Il marqua une pause. « Qu'est-ce que tu en penses, Hélène
? »
« On dirait que tu réécris la Bible »
« C'est un peu ça, en effet. Reprenons. » Il chercha une
seconde l'inspiration et continua son récit.
« En fait de mécanique, c'est plutôt dans la tête du
dirigeant du pays victorieux que le grain de sable alla se loger. Beaucoup de
ministres, monarques et présidents avaient déjà été
atteints de folie avant lui. Mais aucun n'avait une telle puissance meurtrière
à sa disposition. Il attaqua le voisin direct du pays dévasté.
L'opinion internationale se rebella comme elle l'avait déjà fait
avant la guerre précédente, avec les mêmes résultats.
Un autre pays fut donc pilonné et vaincu. Bien sûr, le pays du
conquérant subit des représailles à l'intérieur
de son territoire : attentats, prises d'otages, un ministre fut même assassiné.
Cela ne fit que conforter le meurtrier dans sa position, et lui donner des raisons
de plus de continuer. Ils envahirent donc un troisième pays, l'accusant
de toutes les attaques subies. Le dirigeant fut réélu. C'est après
cela que sa maladie mentale commença vraiment à se voir. Il décida
de continuer la guerre qu'il prétendait mener contre le Mal. Il fallait
l'arrêter. Mais on ne démet pas de ses fonctions si facilement
quelqu'un d'aussi haut placé, surtout après les élections.
La croisade continua, et tandis que l'armée marchait vers sa quatrième
victime sans même avoir fait une déclaration de guerre, le monde
entier se souleva contre l'oppresseur. Toute la presse condamnait les actes
de destruction du nouveau tyran, le terrorisme contre son pays tripla, des manifestations
d'une rare violence contre ses ambassades avaient lieu partout dans le monde.
Rien n'y fit. L'issue était inévitable. Les dirigeants des plus
grandes puissances militaires du monde se réunirent au cours du sommet
le plus important de l'histoire de l'humanité. Il fut décidé
que, les sanctions économiques et l'isolement du pays coupable étant
sans effet, la guerre était inévitable. Ils savaient parfaitement
que le militaire dément était en possession de l'arme nucléaire.
Ils savaient aussi qu'il n'hésiterait pas à s'en servir contre
quiconque tenterait de contrecarrer ses plans de conquête. Mais ne rien
faire semblait pire. »
« Chéri, tu penses vraiment qu'il faut décrire toute la
guerre ? Après tout, le plus important n'est venu qu'ensuite. »
« Il le faut. Nos enfants ne doivent pas faire les mêmes erreurs.
Mais j'y viens. »
Il restait encore une demi-heure d'autonomie environ à l'ordinateur.
Ca suffirait.
« Dans la même journée, les alliés déclarèrent
la guerre au mégalomane. Il faut croire que le mal qui le rongeait ne
l'avait pas rendu stupide, car il avait prévu cela. Sa réponse
ne se fit pas attendre. Le lendemain, la mobilisation générale
était lancée. Le surlendemain, des tempêtes de feu s'abattirent
sur les capitales ennemies. Désorganisés, ils furent bien moins
rapides que lui. Cinq jours plus tard, tous ses hommes en état de se
battre étaient prêts. Bien qu'inférieurs en nombre, ils
avaient l'avantage d'avoir déjà toute la mécanique de guerre
en marche, et possédaient la technologie guerrière la plus avancée.
Les alliés ne purent que reculer, dans le désordre le plus total.
Mais peu à peu, ils s'organisèrent, et d'autres pays rejoignirent
leur cause. Au bout de huit jours à peine, les alliés avaient
repris le dessus. La fureur de l'envahisseur atteignit alors son paroxysme,
et la population de son pays n'avait d'autre choix que de le suivre. Chaque
camp devait gagner pour survivre. Le cataclysme se déroula comme on l'avait
prévu depuis des décennies. Pour éviter de perdre du terrain,
l'ennemi utilisa la bombe atomique, d'une puissance sans commune mesure avec
celles conçues jusqu'alors. La suite fut dramatique, les alliés
répondirent avec deux bombes nucléaires, et des bombes à
neutrons, qui avaient au moins l'avantage de ne pas entraîner de retombées
radioactives. Le cinquième de la population mondiale périt. La
guerre semblait toucher à sa fin, mais le plus terrible était
à venir. Se sachant perdu, celui qui avait amené le chaos sur
la Terre décida d'emmener avec lui le Mal qu'il pensait combattre. Il
employa des armes bactériologiques. Trois pays furent touchés,
et des milliers d'innocents moururent de maladies qu'on pensait éradiquées
à jamais. Leur assassin se donna la mort. »
« Comment vas-tu raconter la suite ? On n'a jamais vraiment su ce qui
est arrivé après. »
« J'étais une des personnes les mieux placées, je vais expliquer
les événements selon ma théorie. »
Il vérifia encore l'état de la batterie. Vingt minutes restantes.
Ca suffirait pour terminer son récit et imprimer une centaine d'exemplaires.
« Les maladies étaient connues, et elles ne se répandirent
pas assez vite pour devenir dangereuses pour l'humanité. Les victimes
furent soignées dans les plus brefs délais, et bourrées
d'antibiotiques. Les morts étaient brûlés pour éviter
toute propagation des maladies. On pensait avoir stoppé l'épidémie.
Mais certains malades présentaient encore quelques troubles bénins.
On mit ça sur le compte des effets secondaires des médicaments.
Petit à petit, les personnes qui n'avaient pas été atteintes
par les maladies commencèrent à ressentir les mêmes symptômes.
Les premiers à avoir été atteints par ces troubles furent
hospitalisés environ deux semaines après avoir ressenti les premiers
signes. C'était toujours les mêmes symptômes, mais bien plus
inquiétants : à ce stade, plus aucun d'entre eux ne pouvait dormir.
La maladie fut identifiée comme un virus de la peste qui aurait muté
pour résister à la médecine habituelle. Elle était
d'autant plus grave qu'elle mettait au moins trois semaines à se
déclarer, parfois plusieurs mois, et était extrêmement contagieuse
pendant cette période d'incubation.
Avant que le monde scientifique puisse réagir, l'épidémie
avait atteint le tiers de la population mondiale. Toutes les recherches furent
stoppées pour ne plus se consacrer qu'à la recherche d'un médicament
qui pourrait stopper l'avancée de la maladie.
Le virus se propageait à une vitesse folle. Les personnes qui se savaient
atteintes préféraient souvent se donner la mort. Le malade ressentait
d'abord des démangeaisons et des troubles du sommeil, puis voyait apparaître
des plaques rouges sur son corps. Ensuite la chair pourrissait, les muqueuses
se desséchaient, et le malade finissait par se décomposer s'il
n'avait plus la force de se suicider.
Il fallait se rendre à l'évidence, la maladie était incurable.
Le monde sombrait dans la maladie et la folie. Personne ne pouvait savoir s'il
avait contracté la maladie, à cause de la longue période
d'incubation.
L'humanité dépérit. Mais pas la Terre, car la maladie avait
ceci de particulier qu'elle ne touchait que les êtres humains. Certains
crièrent même à la punition divine. Vu l'ampleur de la catastrophe,
ils n'étaient peut-être pas si loin de la vérité.
Quant à moi, j'étais un des rares scientifiques compétents
à avoir bénéficié d'une protection maximale. J'ai
eu la chance d'avoir été enfermé dans un environnement
stérile à une centaine de mètres sous le niveau de la mer
pour mener mes recherches. Je suis arrivé à la même conclusion
que mes confrères, le virus était invincible. Je n'ai pu qu'assister,
impuissant, à la mort de mes semblables. Même les gardes de mon
abri me supplièrent de les laisser entrer, mais je les savais condamnés,
et donc contagieux.
Trois mois après la découverte du virus, plus aucune nouvelle
ne me parvint à la radio. Par sécurité, je restai encore
un mois dans mon bunker aseptisé. Puis mes provisions se sont épuisées,
et j'ai dû remonter à la surface, en ayant bien sûr enfilé
ma combinaison de protection étanche, qui ne permettait de respirer qu'avec
des bombonnes d'oxygène. Le spectacle qui s'offrit à mes yeux
ne peut être décrit par aucun mot. La ville n'était plus
qu'un immense charnier. Certains quartiers avaient entièrement brûlé,
et tous les bâtiments avaient été saccagés. La folie
des habitants les avait poussés à commettre des actes d'une barbarie
sans nom, certaines personnes avaient même fait des sacrifices humains
pour implorer un improbable pardon divin. Mais le plus terrifiant était
encore le silence qui régnait sur la ville, terriblement lourd et accusateur.
Chacun de mes pas résonnait dans l'espace dévasté. En me
dirigeant vers le port, un bruit me fit sursauter, qui n'était pas l'écho
d'un de mes pas. C'était un oiseau qui chantait sur un arbre. Quelques
mètres plus loin, je vis un renard en plein milieu d'un carrefour, tel
la vision d'un peintre surréaliste en mal d'inspiration. Je vis aussi
une fourmilière dans le parc où j'allais parfois déjeuner.
Je remerciai le ciel mentalement d'avoir épargné la nature. Arrivé
au port, je gravis sans difficulté une clôture qui n'était
plus électrifiée, puisque les centrales ne tournaient plus. C'est
ainsi que je pris la mer à bord d'un des seuls bateaux qui n'avaient
pas été volés ou saccagés, en emportant avec moi
un ordinateur portable de mon labo et une imprimante autonome. Le bateau était
de taille plutôt réduite car j'étais le seul membre d'équipage,
aussi ne pouvais-je pas parcourir une longue distance. Je m'éloignai
de quelques kilomètres des côtes, suffisamment loin pour enlever
ma combinaison, et me laissai dériver pour économiser mon carburant.
Au bout de cinq jours, un véritable miracle arriva. Ma radio venait de
crachoter quelques sons. Je réglai la fréquence, mon cour battait
à tout rompre. Et j'entendis un appel de détresse. L'émetteur
était une naufragée. J'accostai sur son île, et elle me
raconta son histoire, qui était assez brève. Elle s'appelait Hélène
et habitait un pays relativement épargné par le conflit. Elle
avait commencé une traversée en solitaire de l'océan, juste
après la fin de la guerre. C'est ainsi qu'elle échappa au virus.
Son bateau subit une avarie, et une tempête la fit échouer sur
cette île. Elle n'avait même pas eu connaissance du mal qui avait
détruit l'humanité, elle savait seulement que les armes bactériologiques
avaient été employées quelques jours avant son départ.
Je vis sur cette île avec elle depuis trois jours, et il y a fort à
parier que nous sommes les derniers représentants de notre race. Peut-être
pourrons-nous faire revivre l'espèce humaine à travers notre descendance.
Que ce document leur serve d'Histoire, et qu'ils ne commettent pas les
mêmes erreurs que leurs aînés. »
Il signa de son prénom et data du premier jour de l'ère de Résurrection.
Un peu de solennité ne ferait pas de mal à ses descendants.
« Ca a pris un peu plus de temps que prévu, mais je pourrai en
tirer à peu près une cinquantaine. Tu imagines, nous sommes l'avenir
de ce monde. Ou peut-être sa perte. Je me demande. »
« Chéri. ? »
« Mmmmh ? »
« Tu veux bien me gratter le dos ? J'ai comme des démangeaisons.
»
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