@rc~en~ciel
Au temps de l'eau
Ce
matin là, ils comprirent que quelque chose avait changé. Tous
les visages étaient levés vers le ciel que les adultes scrutaient
intensément. Les jeunes enfants, silencieux, faisaient de même,
plus par imitation que par curiosité car ils n'étaient pas encore
initiés.
Depuis que Pierre tenait le rôle de chef, il avait démontré
en maintes occasions la valeur de son jugement et le bien fondé de ses
décisions. Dix ans déjà qu'il avait proposé que
la vérité ne soit révélée aux enfants qu'à
leur douzième anniversaire. C'est pour cette raison que les livres, revues
et journaux qu'ils avaient emmenés étaient soigneusement cachés
et qu'on ne parlait du temps de l'eau que rarement. La rudesse de leur nouvelle
condition de vie n'avait rien à voir avec avant et les enfants ainsi
élevés recevaient l'initiation avec surprise. Les descriptions
les plus précises ne pouvaient évidemment pas remplacer dans leur
imagination les souvenirs qui fulguraient souvent chez les adultes.
Au temps de l'eau, leur petit groupe lié par des raisons de voisinage,
se réunissait fréquemment chez Pierre. Celui-ci, spéléologue
amateur, leur projetait à l'occasion des images de ses expéditions.
Il leur avait fait partager son enthousiasme pour un site méconnu où
il avait découvert une grotte dans laquelle l'eau d'une source coulait
dans un grand bassin naturel puis se perdait dans les profondeurs. C'est là,
devant la grotte, qu'ils avaient installé leur camp. La décision
avait été prise alors que la situation en ville devenait extrêmement
difficile après dix années pendant lesquelles aucune goutte de
pluie n'était tombée sur le continent. Pluie, c'était un
mot qu'on ne prononçait plus depuis que le ciel était immuablement
bleu. Le mot était banni, oublié dans les conversations, mais
le temps de l'eau c'était avant, quand la pluie tombait. C'était
le temps des arbres, des fleurs, de l'herbe grasse, des ruisseaux, des rivières
et des lacs. Si on débattait alors des menaces qui pesaient sur l'humanité,
c'était de la pollution. Les voitures, de plus en plus nombreuses, empoisonnaient
nature, bêtes et gens malgré quelques perfectionnements techniques.
Le chauffage urbain, l'emploi massif d'insecticides et d'engrais, les centrales,
les industries polluantes, contribuaient à l'asphyxie générale
et déversaient leurs flots nocifs qui tuaient la faune et la flore, souillant
l'eau, du plus modeste ruisseau au fleuve le plus impétueux. Les cris
d'alarme, les appels à la raison, étaient étouffés
par les arguments économiques et les impératifs de la sacro-sainte
rentabilité. Même l'Europe des 14, renforcée depuis peu
par l'adhésion de nations de l'Est, avait eu beaucoup de difficultés
à imposer aux Etats des normes et des mesures d'urgence que les égoïsmes
nationaux tendaient à contourner.
Personne cependant n'avait osé imaginer ce qui était arrivé
: plus de nuages, plus de pluie, plus de neige, pendant des années et
des années. Les troncs d'arbres semblaient pétrifiés, le
sol était gris, les lits des cours d'eau baillaient sinistrement. Les
lacs, complètement asséchés par les derniers besoins des
hommes, étaient devenus les nouveaux cratères du XXIe siècle.
La vie s'était organisée à l'entrée de la grotte
dans laquelle ils se réfugiaient dès qu'un bruit d'avion ou d'hélicoptère
se faisait entendre. Ce n'était pas l'égoïsme mais la volonté
de survivre qui les faisait agir ainsi.
Persuadés, après une longue période de silence, qu'il n'y
aurait plus d'incursion aérienne, ils avaient cultivé le plateau
situé devant la grotte et la vie avait pris une autre dimension. Ils
arrosaient la nuit les nombreux légumes qu'ils récoltaient chichement
jusqu'alors. Du blé, précieusement conservé et semé,
leur permettait dorénavant de recueillir des quintaux de grains qu'ils
écrasaient entre des pierres pour en faire une farine grossière.
Avec cette farine, ils pétrissaient des galettes cuites dans un four
qu'ils avaient construit et qu'ils faisaient fonctionner avec beaucoup de précautions.
En effet, le plateau était bordé d'un inextricable amas de ronces,
de broussailles et d'arbres desséchés qui les protégeait
d'éventuels intrus. Ils n'avaient jamais tenté d'explorer cette
protection naturelle et les enfants qui s'y étaient risqués en
étaient vite ressortis, zébrés de griffes qui, fort heureusement,
n'avaient pas eu de suite."
Chacun peut imaginer la suite ! ...
Nouvelle inachevée, écrite par Jean
CELERSE